Bonjour à tout.e.s,
Je tiens à vous remercier d’avoir persisté dans votre volonté d’organiser cette assemblée générale des personnels à la fac de lettre occupée. Il est fondamental pour nous, étudiant.e.s mobilisé.e.s que pendant le blocage, cette faculté reste la vôtre. Et votre présence fait chaud aux coeurs de tout.e.s les étudiant.e.s mobilisé.e.s qui dédient toute leur énergie et leur temps à ce mouvement. Les étudiant.e.s que vous cotoyez en cours, qui se sont politisés dans le mouvement, non pour rejoindre tel ou tel drapeau mais pour construire ensemble, ici et maintenant, le monde dans lequel nous voulons vivre.
Tout d’abord j’aimerais vous dire que le mouvement auquel nous participons dépasse de beaucoup la faculté de lettres de Nancy. Partout, étudiant.e.s, personnels et enseignant.e.s de l’université se lèvent. Au 31 mars, samedi, 28 universités étaient déjà entrées en lutte. Les universités de Brest, Guingamp,Caen, Rennes, Nantes, Rouen, Le Mans, Lille, Orléans, plusieurs universités de Paris, Tour, Dijon, Strasbourg, Besançon, Poitiers, Limoges, Clermont, Lyon, Grenoble, Bordeaux, Pau, Nîmes, Aix en Provence, Toulouse, Montpellier et bien sûr Nancy sont mobilisées et/ou bloquées. Et Nice ce matin ! L’université de Mme Frédérique Vidal. Le mouvement est aussi bien plus large que juste l’université puisqu’il rassemble les cheminots, les sidérurgistes, les retraités, les EHPAD, les organismes sociaux, les hôpitaux, la fonction publique, les lycées, EDF, ERDF, Enedis, la RATP, les ouvriers de la chimie, les magistrats, les éboueurs, Air France et les salariés de Carrefour. Le pays entre en ébullition.
Pour ce qu’il en est de la fac de lettres, vous avez bien sûr constaté le succès sans commune mesure de l’assemblée générale des étudiant.e.s qui a rassemblé plus de 1100 votants, alors que la fac accueille 8000 étudiant.e.s.
Mais, même en dehors des assemblées générales, la fac se réveille et se met à vivre. Nous organisons conférences, cours, projections, concerts et discussions. Seulement, nous le faisons à notre manière, par nous et pour nous. Et tout cela est bien normal. L’université a toujours été un pilier de la démocratie, organisée par les citoyen.ne.s mêmes qu’elle accueille. La légitimité des étudiant.e.s à gouverner l’université n’a pas été arrachée, elle a seulement été révélée au grand jour. Nous avons enfin retrouvé la raison et avons rétabli cette vérité éclatante: l’université est gouvernée par et pour nous!
Pourquoi nous battons nous? Nous nous battons pour l’abrogation de la loi ORE, contre la sélection à l’Université, qui doit rester ce lieu ouvert à tous, aux spécialistes comme aux néophytes, aux jeunes comme aux vieux, à ceux qui veulent s’intégrer à la société comme à ceux qui veulent la critiquer, s’en éloigner, la changer, voire la déserter. Certain.e.s pourraient me rétorquer que non, l’université est faite pour les plus motivé.e.s, pour les meilleur.e.s dans leur discipline, et ne devrait pas devenir ou rester, si l’on écoute certain.e.s, un refuge à glandeurs, ouvert aux quatre vents, un nid de « limaces » comme titrait honteusement l’Est Républicain il y a quelques années, avec pour illustration des étudiant.e.s alongé.e.s dans ce gazon où, il est vrai, nous aimons à flâner, lire, rêver, refaire le monde, nous aimer.
Je sais que certain.e.s parmi les enseignant.e.s, sûrement absents aujourd’hui, mais sont-on jamais? Certain.e.s souhaiteraient une sélection, souhaiteraient faire de cette fac une université d’excellence, ne plus se retrouver à 8h du matin devant une salle à moitié vide et les regards hagards d’étudiant.e.s pas vraiment motivé.e.s, pas vraiment décidé.e.s sur leur avenir. Mais sachez bien une chose, une université d’excellence, comme on dit, n’est dans l’intérêt ni de ces étudiant.e.s, ni de vous!
D’abord, la sélection implique une charge de travail accrue pour vous, qui avez déjà tellement à faire, qui ne pouvez plus faire ce pour quoi vous êtes là, ce que vous avez toujours voulu, faire de la recherche! Un professeur m’avouait qu’avec toutes ses obligations il n’avait plus le temps de simplement lire des livres! La sélection implique aussi une baisse du nombre des étudiant.e.s. Pas tout de suite, mais petit à petit, dans les années à venir. Avec le principe de la sélection, le loup est dans la bergerie. Avec la baisse du nombre d’étudiant.e.s donc, vient la baisse du nombre de cours, et bien sûr la baisse du nombre des recrutements. Même s’il n’a pas fallu attendre pour voir les postes de titulaires remplacés par des vacations et des contrats précaires, faisant de l’université un monde divisé entre titulaires de plus en plus surchargés, et précarisés, de plus en plus poussés à bout. Comment s’étonner de voir de plus en plus d’affrontement dans nos départements entre ces deux camps, victimes du même maître chanteur, mais qui se tournent les uns contre les autres?
Dites-vous bien, que chacun.e.s d’entre nous, étudiant.e.s en lutte avons la conviction chevillée au corps que nous nous battons aussi pour vous! Personnels et enseignant.e.s! Nous nous battons pour vous car nous savons que nos droits sont vos droits. Qui peut penser que votre statut sera longtemps épargné par la grande machine de démolition en marche? Le gouvernement s’en prend aux étudiants et aux cheminots car ce sont, disons le, des emmerdeurs, des empêcheurs de réformer en rond. Je m’adresse particulièrement aux enseignant.e.s ici, car les personnels sentent déjà le souffle du couperet leur frôler le coup dès aujourd’hui. Il est plus facile de précariser des femmes de ménage que des enseignant.e.s bien conscient.e.s de leurs droits et appartenant aux mêmes classes supérieures. Enseignant.e.s donc, qui peut croire que vous pourrez mobiliser qui que ce soit, dans ces universités de l’excellence, quand le gouvernement s’attaquera à votre statut, à votre liberté d’expression? Pensez-vous que vous vous ferez oublier jusqu’à la retraite? Croyez vous donc qu’ils vous laisseront tranquilles? Avant longtemps, on verra au JT de France 2 des enseignant.e.s coiffé.e.s à la hippie, les plus indolents, car ils choisiront leurs images, expliquer calmement qu’ils ne donnent que 8h de cours par semaine. Bien vite, on excitera tout le monde, y compris les étudiant.e.s en leur disant: « vous les voyez ceux-là? épargnés? privilégiés? travaillant quand ils veulent? les premiers à se plaindre et à vous critiquer? » Il faut être aveugle pour croire que les ouvriers virés, les intérimaires surmenés, les salariés précarisés lèveront ne serait-ce que le petit doigt pour défendre votre statut. Nous sommes conscient.e.s que votre liberté garantit la nôtre et nous n’attendrons pas pour la défendre.
Aujourd’hui, nous ne vous demandons pas de descendre de supposées tours d’ivoire pour venir nous prêter main forte, nous défendons la tour elle-même!
Nous ne vous demandons pas de vous départir de votre neutralité scientifique, nous nous battons pour que vous puissiez la conserver!
Nos revendications ont été résumées par l’un d’entre nous qui a noté sans bruit, au feutre, la nuit, ce que tout le monde pense, je vous le lis:
Cette génération est résignée
Partout elle sonne la retraite et ce message a tant circulé que ses effets retombent sur les innocent.e.s (citation d’Henri David Thoreau)
Révoltez vous!
Contre la sélection et son monde
Contre l’exploitation du tiers-monde
Contre les dominations (sexisme, racisme, homophobie…)
Contre le Franc CFA (monnaie coloniale encore actuelle)
Pour une fac autogérée
Pour l’émancipation intellectuelle
Pour des projections sur l’autogestion
Pour une fédération des universités en lutte
Comme nous le répétons sans cesse dans les manifestations
Avec tout ce que vous pourrez nous apporter
Ne nous regardez pas, rejoignez nous !
Un étudiant en lutte