« La loi ORE est adoptée depuis le 8 février, sans faire de bruit. La plupart des enseignant.e.s n’en parlent pas, peut-être ielles estiment que ça ne les concerne pas, ni les étudiant.e.s. Peut-être s’imaginent-ielles que nous faisons partie des sélectionné.e.s ? Or nous sommes nombreux et nombreuses à avoir la chance que cette loi ne soit pas passée avant et à avoir accès à la connaissance. La tête dans les études et le travail, je n’ai même pas pris le temps de me renseigner sur la loi ORE, sans parler d’autres réformes qui me concernent et qui cassent la SNCF, l’assurance chômage, les allocations logement, les retraites. C’est pour suspendre le temps et créer des espaces de réflexion que j’ai rejoint le blocage de la fac de lettres de Nancy.
« Tu viens à l’université populaire du sapin ?, me demande une étudiante, il y a un cours sur la précarisation des doctorants et la semaine prochaine sur la domination par le langage.» Par la suite, je suis venue et revenue. Mon rêve de poursuivre des recherches à l’université se transforme en cauchemar capitaliste où la concurrence prime, la rédaction est plus importante que le contenu et le savoir est « marchandisé ». Pour créer du contenu, il faut du temps. Apparemment il n’y en a plus. Il n’y aura plus de partage de savoir non plus : ce n’est pas rentable. De nombreuses personnes n’auront plus accès à la licence pour suivre les trois années d’études qui permettaient d’avoir accès à un certain nombre de connaissances et de se construire.
Depuis le 22 mars 2018, les accès de plusieurs bâtiments de la fac de lettres ont été bloqués et les cours suspendus. Une manifestation de 2000 personnes a traversé la ville de Nancy sous la pluie pour protester contre les réformes. L’université Populaire du Sapin a mis en place des comités pour travailler sur les recherches scientifiques, la logistique, la communication et la programmation des activités. La fac en lutte est devenue un lieu d’émancipation de partage et d’expérimentation.
Mais ceci n’est pas au programme des politiciens qui réduisent l’enseignement aux seuls modules nécessaires à la construction unique d’un « projet professionnel ». La poésie, la philosophie ou les arts ne sont, soi-disant, pas nécessaires à la rédaction des articles scientifiques ou à un travail spécialisé. Personne ne se rendra compte qu’ielle est privé.e de culture, si ce n’est pas déjà le cas. Artem se vante de « croiser les cultures » de ses trois écoles, dont les Beaux Arts. Sauf que dans ce cas, les arts ne sont pas moteur d’un apprentissage comme à l’université expérimentale et pluridisciplinaire du Black Mountain College, les arts sont absorbés et instrumentalisés dans une « écologie entrepreneuriale ». Artem n’est pas un lieu de création ni d’émancipation, l’université non plus. Et même si un.e dirigeant.e l’annonçait comme tel, je m’en méfierais. Ce mot serait vide de sens dans leur langue de bois.
Qu’est-ce que l’université si ce n’est plus un lieu de développement du sens critique, d’apprentissage et de rencontre ? Qu’est ce qu’elle deviendra si elle n’est plus ouverte à toutes les personnes qui le souhaitent ?
Tant qu’il y a l’Université Populaire du Sapin, venez partager des savoirs et des espaces d’émancipation. »
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