Ce soir, j’ai un peu honte de mon métier de prof.
Mon premier conseil de classe nouvelle mouture après réforme macroniste du système d’orientation vient d’avoir lieu, et ce qu’on nous demande d’y faire est juste abject.
Il faut donc – puisque toutes les filières sont sélectives, désormais – que nous remplissions pour chaque élève à destination des écoles et des universités une « fiche avenir », qui consiste à établir :
a) La « cohérence du projet avec les qualités personnelles » → il est donc désormais officiellement établi que l’évaluation n’est plus celle d’un travail mais de « qualités personnelles », soit d’individus.
b) Le « degré de motivation » → qu’est-on censés en savoir ? Le métier de professeur implique-t-il de sonder les cœurs et les reins ?
c) Les « chances de réussite » → qui risquent d’être hautes si on en préjuge comme ça dès le Lycée ! Notre société ne comporte sans doute pas déjà tant de sélection, de reproduction sociale et de classisme qu’il faille en surajouter. Puis cela est bien connu : jamais on n’a vu d’adolescents de dix-sept ans ne sachant trop encore où aller, qui après le bac se soient découverts et réinventés de façons imprévues.
L’on se retrouve alors face à des situations surréalistes, où il est tranquillement attendu des professeurs que nous nous perdions en spéculations personnelles idiotes à propos des jeunes qui nous sont confiés et de leur projet de vie. Ainsi ai-je entendu : « Oh, une très belle cohérence dans les vœux de X ! » ; « En revanche Y demande une prépa vétérinaire, de l’histoire de l’art et de la sociologie… c’est très dispersé tout ça, on sent une certaine hésitation, il faudrait une résolution plus ferme ! »
Pour peu, l’on croirait des critiques d’art en train de mâchonner leurs réserves et de sous-peser leurs louanges sur la « belle cohérence » de machin ou sur la « ferme résolution » de bidule. Sauf qu’il ne s’agit pas d’agiter nos vanités devant des tableaux, mais d’ouvrir ou de fermer des portes à des mômes.
Et face à cela, passées quelques velléités d’indignation vite rabattues, j’ai passé l’essentiel du temps à me taire.