Monsieur le Président, suite aux différents mails que vous nous avez envoyés, permettez-nous de vous adresser cette lettre qui vient principalement répondre à votre dernier mail, ainsi qu’à vos affirmations et positions sur la Loi Ore.
Si pour vous « Bien accueillir est synonyme d’une meilleure réussite dans ses études », nous avons la certitude qu’Accueillir est synonyme d’ouverture. De fait, si l’université de Lorraine est « porté[e] par un élan profond » consistant à « l’ouvrir au monde », qu’attendez-vous pour réfuter ce plan ? En effet, si les enseignements permettent une réelle insertion pourquoi vouloir réserver cette chance aux enfants issus des milieux favorisés ?
De plus, les étudiant.e.s en lutte ne considèrent pas le non-passage en deuxième année comme un échec en soi, mais plus comme une nouvelle tentative, ou une simple réorientation. Pardonnez tout un chacun de ne pas toujours savoir à 18 ans si le choix de la psychologie, du droit ou des sciences du langage – matières non-enseignées aux lycéen.ne.s – sont bien la voie que l’on souhaite suivre pour les quarante prochaines années. L’articulation entre le lycée et le supérieur est compliquée pour les lycéen.ne.s. Il est intéressant d’apporter une aide supplémentaire dans cette étape, néanmoins il reste important de laisser chacun s’approprier son parcours, avec des réorientations si besoin est.
« Les filières non sélectives restent non sélectives : les universités ne pourront répondre que OUI ou OUI SI aux candidats à l’entrée en licence. » A savoir que les conditions du « Oui si » ne sont pas encore complètement établies mais qu’elles stigmatiseront toutes celles et ceux qui seront contraints de passer par ces « parcours pédagogiques spécifiques », en plus de pouvoir en décourager, voire en dégoûter plus d’un.e.
Sans compter l’instauration des fiches navettes que les professeurs d’université doivent remplir pour choisir les critères de sélection; Et s’ils refusent de mettre des critères ce sont les notes des épreuves anticipées qui sont prises en compte, autrement dit, il y a de la sélection même en cas de « oui ».
En outre, mentionner la capacité « physique » de l’université constitue naturellement un point important. Cependant pourquoi décider de placer d’éventuels investissements dans la sélection plutôt que dans les capacités d’accueil des universités ?
Si le tirage au sort d’APB était une solution abjecte quant au traitement des candidatures, la sélection proposée par la Loi ORE ne résout pas le véritable problème : tout le monde devrait avoir accès à l’éducation. L’alternative proposée – la sélection par les résultats – ne s’inscrit toutefois pas uniquement dans une problématique « d’urgence » mais s’applique à toutes les universités. Les sciences sociales s’évertuent depuis des années à montrer la place des déterminismes sociaux dans nos sociétés. En cela, les éléments nouveaux introduits par la Loi ORE ne viennent que renforcer ces inégalités et ne sont en aucun cas une avancée.
Il serait aussi bon de rappeler que la mise en place de « licences à la carte » implique effectivement le cassage de l’arrêté licence de 2011, qui garantit aux étudiant.e.s la possibilité de passer des rattrapages et de bénéficier de compensations entre Unités d’Enseignements (UE) et à l’année, sur les semestres. Interrogée sur le sujet, voici ce que répond la Ministre de l’ESR : « S’agissant de la compensation, l’objectif est que l’inscription puisse se faire à l’unité d’enseignement. Les compensations ne se feront donc plus « à l’année », les années n’ayant plus lieu d’être. » Cette réponse rejoint votre propos sur l’attente d’un nouvel « arrêté licence » (quoique l’on puisse, en suivant la logique de l’exécutif et la vôtre, s’interroger sur l’intérêt même du maintien de cycles universitaires et donc sur l’intérêt même d’un nouvel arrêté). Pour autant, elle met en évidence que « les années n’auront plus lieu d’être » et donc que les compensations non plus. A ce sujet, il est aussi à noter que la concurrence entre UE s’ajoutera à celle existant déjà entre licences.
En outre, les universités, contraintes de répondre par « Oui » ou « Oui-si » à ses potentiels futurs étudiant.e.s, doivent prendre en compte l’incapacité des familles à financer une année supplémentaire à leurs enfants, ou celle des étudiant.e.s à rallonger leur parcours. Car, comme dit précédemment, cette mention (qui s’apparente à une forme de tri) et les difficultés qu’elle impose viennent renforcer les phénomènes de concurrence entre les cursus et les UE. Il faut cerner le fait que l’Université, dans le paysage de l’ESR, est un moyen pour certains étudiant.e.s de se former, tout en limitant leur exposition aux phénomènes de concurrence que l’on retrouve dans les Grandes Ecoles et leurs Classes Préparatoires.
Sous couvert de transparence donc, vous mettez les étudiant.e.s devant de nouveaux obstacles sociaux, bien loin des éléments que vos textes et rapports suffisent à verbaliser. Vous vous faites, en ce sens, l’émissaire d’une « sélection qui ne dit pas son nom ». Ajoutons à cela que la mise en place de parcours de formation implique du temps et des moyens ; la Loi ORE ne vous assure d’aucune garantie en quantité suffisante, dans le cas contraire, nous vous invitons à rendre publiques ces garanties et leurs matérialisations afin de rassurer les étudiant.e.s inquiet.e.s sur le sort de leur lieu de formation.
Par ailleurs, vous évoquez les efforts qui seront faits pour ouvrir des places en STAPS et en PACES, dites « filières en tension ». Le niveau de sélectivité d’une PACES conduit un nombre non-négligeable d’effectifs à passer les concours à l’étranger. Il paraît alors chimérique d’annoncer la création de places dans cette filière alors même que la sélection qui y est effectuée est à l’origine d’une fuite des passions, sans forcément s’avérer constitutive d’un réel différentiel en termes de qualifications et compétences entre les médecins qui sont passés par la PACES en France et ceux qui y ont échappé à l’étranger (sans parler de l’animosité qui existe entre les étudiant.e.s français et les étudiant.e.s expatrié.e.s). L’effort est appréciable mais ne semble pas pour autant être réellement seyant.
En adoptant une position compréhensive, quelques éléments semblent pouvoir limiter votre capacité d’opposition. Seriez-vous dans une impasse ? Refuser de reconnaitre la Loi reviendrait pour vous à admettre les faiblesses de vos enseignements ; ainsi ne seriez-vous pas contraints de la promouvoir contre votre gré ? Cela pourrait-il se répercuter dans les fonds qui seront mis à disposition de l’UL ?
D’une certaine manière vous n’avez pas la totale liberté d’agir. Cependant vous pourriez vous mobiliser. Vous avez la possibilité de vous opposer à cette Loi comme le font les étudiant.e.s en lutte qui mettent en péril leur année pour sauver l’Université.
Dans votre présentation de la loi Ore vous semblez de plus oublier de mentionner l’Article 7 qui, en fonction du taux d’insertion professionnelle, accorde des grades ou titres universitaires qui, à terme, joue sur les aides financières perçues par l’université. Cela conduit à une logique concurrentielle entre les universités puisque les investissements alloués dans une université seront calculés en fonction de sa réussite sur le plan de l’insertion. Au vu de vos communiqués, l’UL se porte bien de ce point de vue donc vous ne voyez évidemment pas de raison de vous opposer à cette Loi.
Voyez plus loin, s’il est probable que l’Université de Lorraine ne soit pas directement touchée pour l’année suivant cette réforme, qu’en sera-t-il les prochaines années ? Et que dites-vous à toutes les autres universités qui vont, dès cette année, devoir appliquer cela ?
Plutôt que de vous battre contre un mouvement social, reprenez les valeurs humanistes que vous citiez tantôt et voyez si elles s’insèrent dans la Loi que vous semblez défendre. Plutôt que de menacer les étudiant.e.s, (sur les partiels notamment) remettez en question la parole gouvernementale et accordez ne serait-ce qu’une once de crédit à la nôtre.
Les étudiant.e.s en lutte